Ambassadeur Laurent KavakureMission d’observation électorale de l’Union européenne au Burundi

Séminaire de formation aux observateurs de long terme

Exposé de SE Laurent Kavakure, Ambassadeur à Bruxelles

Thème : « Enjeux des élections de 2010 au Burundi »

Bruxelles, Hôtel Dolce, mercredi, 28 avril 2010

Monsieur Pascal Clerotte, Project Manager, Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Burundi,

Mesdames Messieurs les experts, chacune et chacun en vos titres et qualités,

Je voudrais d’abord souligner, au nom de l’Ambassade de la République du Burundi à Bruxelles, qui est en même temps notre Représentation permanente auprès de l’Union européenne,  et en mon nom propre, que nous sentons honorés de l’invitation qui nous a été adressée pour pouvoir vous adresser cette communication, à l’occasion de cette formation destinée à vous Mesdames et Messieurs, en votre qualité d’observateurs de long terme pour les prochaines élections qui vont se dérouler dans mon pays.

Je profite de l’occasion pour vous remercier, à tous, à chacune et à chacun, pour votre intérêt pour cette mission très importante pour notre pays. Vous remercier et vous féliciter pour votre enthousiasme. Il est de mon rôle d’entretenir la flamme allumée, pour que cet enthousiasme reste entier.

D’emblée, vous le savez peut-être déjà, vous allez accomplir votre mission dans un très beau pays, le pays des « mille collines », le pays de la source la plus méridionale du mythique fleuve Nil, l’ancien royaume des tambours sacrés, sur les bords du prestigieux et profond lac Tanganyika, situé dans le fossé d’effondrement de la Rift Valley est africain. Je peux vous assurer que nos compatriotes vont vous accueillir avec une grande chaleur humaine.

Monsieur Pascal nous a proposé de vous entretenir du thème « Enjeux des élections de 2010 au Burundi ». Je risque de vous décevoir, en votre qualité d’experts, car je n’ai pas d’exposé académique à vous présenter. Je préfère, pour faciliter nos échanges, cibler quelques points articulés autour de 3 paragraphes, à savoir :

l’historique des élections démocratiques au Burundi

le tournant des élections de 2005

enfin les enjeux proprement dits des élections de 2010

Mesdames, Messieurs,

D’abord une brève historique

Comme vous le savez, le Burundi traîne derrière lui une histoire très tragique. Jusqu’en 2005, les élections ont été un porte-malheur. Il est important de vous retracer cette historique.

Le Burundi est un ancien territoire « sous-tutelle » belge. Dans la foulée du processus de préparation d’accession à l’indépendance en 1961, des élections législatives ont été organisées à travers le pays, qui était à l’époque un royaume. Le parti indépendantiste UPRONA (Union pour le Progrès national) a gagné les élections, contre la volonté de la puissance tutélaire. C’était le 18 septembre. Le 13 octobre suivant, soit moins d’un mois après les élections, le Premier Ministre issu de ce parti, le Prince Louis Rwagasore était tragiquement assassiné. Ce fut un véritable désastre pour le pays. L’indépendance sera acquise en 1962, dans la morosité totale.

Il faudra attendre mai 1965 pour voir organiser de nouvelles élections législatives. En octobre 1965, soit 5 mois après les élections, à la faveur, d’une tentative de coup d’Etat contre la monarchie, tous les élus du peuple d’ethnie hutu furent sommairement assassinés, parmi lesquels le Président, le premier et le deuxième vice-présidents de l’Assemblée nationale ainsi que le Président, le premier et le deuxième vice-présidents de l’Assemblée nationale du Sénat. Plusieurs fonctionnaires hutu furent tués et les massacres furent portés également en milieu rural. Les démons du tribalisme avaient été réveillés en force.

De 1966 à 1993, le pays va sombrer dans le monopartisme sous un système de dictature à la fois militaire et ethnique.

Mesdames, Messieurs,

Je n’ai pas la prétention de vous apprendre des choses nouvelles. Vous avez suivi, autant que moi, l’électrochoc de la chute du mur de Berlin qui a entrainé la fin de la bipolarisation du monde en bloc occidental et soviétique au début des années 90. L’Afrique en général et le Burundi en particulier ont du se mettre au diapason des changements, spécialement après le discours de La Baule de 1990 ou le Président français François Mitterand décidait de conditionner l’aide au développement à la démocratisation des régimes en place en Afrique.

Dès lors, le multipartisme fut restauré au Burundi et en juin 1993, le parti du Front de la démocratie (FRODEBU) gagna les élections.

La suite vous la connaissez. Le 21 octobre, soit après seulement 3 mois de pouvoir, le nouveau président hutu Melchior Ndadaye, était sauvagement assassiné par l’armée mono ethnique tutsi, ainsi que ses successeurs institutionnels à savoir le Président et le Vice-président de l’Assemblée Nationale, ainsi que plusieurs cadres politiques du Frodebu.

C’était le début d’une longue guerre civile entre d’une part, l’armée mono ethnique tutsi, coupable d’avoir décapité les institutions démocratiques et les rébellions hutu. Cette guerre va se terminer par une série d’accords de paix. Lesquels accords vont déboucher sur l’organisation des élections de 2005.

Le CNDD-FDD (Conseil national de défense de la démocratie / Forces de défense de la démocratie), parti issu de la principale rébellion, remporta la victoire.

Mesdames, Messieurs,

Les élections de 2005 ont marqué un tournant historique

Plusieurs facteurs expliquent le sens de ce tournant.

Par le passé, nous venons de le voir, les élections avaient été suivies de catastrophes nationales. L’après-élection avait toujours été dramatique. Les années 1965 et 1993 ont imprimé une déchirure profonde à notre tissu national. Les élections de 2005 ont échappé à ce qui semblait être devenu une fatalité. Une première année s’est passée, puis une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième, et enfin nous sommes à la fin d’une législature. Ce qui est inédit dans l’histoire du Burundi.

Mesdames, Messieurs,

Comme vous le savez, la guerre civile au Burundi éclatée au lendemain de l’assassinat du Président Melchior Ndadaye, n’a fait ni vainqueur ni vaincu. Elle s’est terminée par des négociations où un certain consensus a été établi. Ces négociations ont accouché l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation conclu en août 2000, et d’autres accords conclus ultérieurement entre les belligérants.

C’est en vertu d’une constitution inspirée de ces accords, et principalement de l’Accord d’Arusha, que les élections de 2005ont été organisées.

L’Accord d’Arusha a eu le mérite de s’attaquer résolument à la question de l’exclusion sur des bases ethniques, un sujet longtemps maintenu tabou. Des mécanismes clairs de partage du pouvoir entre les différentes composantes ethniques ont été posés.

L’Accord dispose par exemple qu’au Gouvernement, au Parlement et dans l’administration d’une manière générale, 60% des postes reviennent aux hutu et 40% aux Tutsi, avec un système d’équilibrage de manière à avoir 30% de femmes, et une cooptation des éléments de l’ethnie des batwa. A l’armée, c’est moitié moitié, soit 50% de hutu et 50% de tutsi. Ainsi les frustrations et les peurs des uns et des autres sont évitées.

Un autre facteur important concerne l’intégration des forces de défense et de sécurité. Les forces armées burundaises ont été dissoutes au profit d’une nouvelle force de défense nationale et d’une nouvelle police nationale intégrant des éléments de l’ancienne armée gouvernementale et des éléments des anciennes rébellions. Cette intégration constitue un modèle de réussite. Ainsi, certaines aventures, à l’instar du coup d’Etat de 1993 qui a décapité dans un bain de sang effroyable des institutions démocratiquement mises en place, sont conjurées.

Mesdames, Messieurs,

Maintenant, quels sont les enjeux proprement dits de ces élections ?

D’abord une information que vous possédez peut-être déjà,  en votre qualité d’observateurs de long terme, est que vous allez partir pour observer une longue série de 5 scrutins (s’il n’y a pas de deuxième tour aux présidentielles) :

les élections communales au mois de mai

les élections présidentielles au mois de juin

les élections des députés au mois de juillet

les élections des sénateurs au même mois de juillet

enfin les élections collinaires au mois de septembre.

Certains estiment que c’est trop en une année, mais pour le moment, nous n’avons pas de choix. Nous sommes régis par une constitution post conflit, qu’on ne pouvait pas changer durant cette législature qui se termine. Peut-être qu’avec une nouvelle constitution nous pourrons décaler ces scrutins.

Je dois aussi porter à votre connaissance quelques éléments rassurants pour le bon déroulement de ces élections.

D’abord, la commission nationale indépendante (CENI) a été mise en place par consensus. Une 1ère équipe de la CENI proposée par le Gouvernement a été rejetée par le Parlement. C’est donc un organe auquel toutes les forces politiques ont confiance, et qui agit en toute indépendance. La même démarche a été empruntée pour la mise en place du code électoral. Nous appliquons un code électoral de consensus.

Ensuite, les élections vont se dérouler dans un contexte de paix retrouvée, contrairement à celles de 2005 où le dernier mouvement rebelle n’avait pas encore déposé les armes. Aujourd’hui, ce mouvement s’est mué en parti politique et son chef se porte maintenant candidat à l’élection présidentielle. La campagne de désarmement des populations civile a été menée de manière vigoureuse.

A noter enfin la mise en place d’un plan de sécurisation des élections. Les forces d’ordre et de sécurité reçoivent des formations sur la sécurisation des élections avec l’appui de la coopération hollandaise et belge.

Signalons également la présence de nombreux observateurs internationaux dont vous constituez l’équipe la plus importante. Vous travaillerez avec avec d’autres équipes de parlementaires belges, de parlementaires des ACP et de l’Union européenne, des Ambassadeurs ACP, des équipes des Nations Unies, de l’Union africaine, de l’East african community etc.

Mesdames, Messieurs,

Tous ces éléments nous permettent de souligner les enjeux, à tous points de vue, que présentent ces élections, non pas seulement pour le Burundi, mais aussi pour la communauté internationale entière. L’enjeu majeur est la consolidation du modèle burundais, un modèle de réussite.

Le modèle burundais, c’est d’abord un modèle de démocratie, assez rare en Afrique. Nous avons 44 partis politiques agréés et 23 de ces partis seront en compétition au niveau des élections communales. A ce jour, nous enregistrons une quinzaine de candidats aux élections présidentielles, dont deux femmes et deux indépendants.

La liberté de presse connaît une grande éclosion. Une « synergie des médias » s’est déjà mise en place en vue de la couverture de ces élections. Nous avons déjà expérimenté les effets positifs d’une telle démarche en 2005.

Le modèle burundais, c’est aussi un modèle de cohabitation ethnique. Dans une Afrique qui connaît souvent des déchirements à caractère ethnique, si l’harmonie existante entre les hutu et les tutsi se consolide, notre pays pourra servir de référence.

Le modèle burundais, c’est aussi un modèle réussi d’intégration des forces combattantes d’une armée gouvernementale et de plusieurs rébellions. A première vue, personne n’y croyait. Mais le miracle s’est produit, que ce soit au niveau de notre armée, que ce soit au niveau de notre police nationale. Ce modèle est susceptible d’inspirer beaucoup de pays à travers le monde. D’ailleurs nous exportons ce modèle dans d’autres pays encore en difficultés comme le Soudan, la Somalie, la Côte d’Ivoire.

Le modèle burundais a besoin de consolidation pour la réussite de l’intégration régionale. La consolidation de la paix au Burundi constitue un gage important pour la relance de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands lacs), que nous partageons avec le Rwanda et la République Démocratique du Congo.  Avec les difficultés que connaît le Kivu, notre pays est appelé à jouer un rôle de premier plan.

Nous sommes le siège de la Banque de la ZEP (zone d’échanges préférentiels) animé par le  Comesa, le marché commun de l’Afrique orientale et australe

Nous sommes également le siège de la CIRGL (Conférence internationale de la Région des Grands Lacs) qui regroupe plus d’une dizaine de pays.

Le Burundi joue également un rôle important au niveau de l’EAC (East african community) que nous partageons avec le Rwanda, la Tanzanie, l’Uganda et le Kenya

Enfin, à cheval entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone, le Burundi est un maillon important de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) pour toute la partie orientale et australe de l’Afrique.

Le modèle burundais se situe aussi au niveau de sa politique réussie de rapatriement et d’intégration des réfugiés. Nous avons intégré dans un temps record plusieurs centaines de milliers de compatriotes rapatriés et le Burundi constitue à cet égard un cas d’école pour la communauté internationale.

Mesdames, Messieurs,

En définitive, la consolidation de ces divers acquis, à la faveur de la paix retrouvée, est capitale, non pas seulement pour le Burundi, mais aussi pour la Sous-région, la Région, et la communauté internationale entière.

Elle permettra la concrétisation de l’étape importante suivante, à savoir la phase du développement, pour faire du Burundi également un modèle de développement, et pour reprendre l’expression de nos ancêtres, « un pays où coulent le lait et le miel ».

Je vous remercie de votre attention et souhaite pleine réussite à votre exaltante mission dans notre pays.

Laurent Kavakure

Ambassadeur

 

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Posté par rwandanews.be