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par jesusparis


Alors que l’on se rapproche des commémorations pour le 16 anniversaire du génocide des Tutsis, il est plus que probable que la majorité des médias n’évoqueront pas ou très peu l’entièreté des responsabilités dans cette tragédie. L’occasion de faire un bilan… dérangeant.

 

Le 3 avril 1994, le Rwanda sombre dans la folie meurtrière. Le génocide, programmé de longue date et qui fera près de 1.000.000 morts sera perpétré dans l’indifférence la plus totale. Indifférence non assumée par beaucoup, tout comme la responsabilité de l’ONU, celle d’autres pays riches, en particulier l’Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis ou encore la France et celle des institutions financières internationales. Un génocide est avant tout un crime d’Etat (c’est ce qui le différencie d’un massacre ou d’une épuration ethnique). Plusieurs éléments sont nécessaires pour rapprocher un génocide de la « perfection » (comme le génocide des Tutsis).

 

La haine tout d’abord : contrairement aux clichés répandus (médias, politiques [1], …), les tensions ethniques entre Hutus et Tutsis ne sont pas ancestrales. Même si des rivalités existaient, avant la colonisation, celles-ci résultaient davantage d’un rapport entre classes plutôt qu’entre ethnies. Hutus et Tutsis correspondaient en effet plus à des niveaux de prestige différents et n’étaient pas hermétiques. A partir de 1883, la colonisation, allemande puis belge, va changer la donne en accroissant le pouvoir de la minorité Tutsie à des fins de contrôle, et en ethnicisant les catégories sociales en s’inspirant des méthodes « scientifiques » racistes de l’époque. [2] On va donc « introduire les concepts biosociologiques du sang et de la race qui dominaient en Occident dans une société en voie d’acculturation qui les intégrera progressivement ». [3] Les Belges intensifieront de nouveau ce système en imposant la carte d’identité avec la mention de l’ethnie.

 

La propagande : tout génocide est le fruit d’une intense propagande étatique. Le génocide rwandais n’échappe pas à la règle, puisqu’un endoctrinement massif sera à l’œuvre pendant plus de 40 ans pour dénoncer « l’ennemi de l’intérieur ». Celle-ci sera bien évidemment appuyée par l’Etat qui évincera progressivement tous les Tutsis de l’administration (Armée, Police, …), appuiera le principal média du génocide : la radio des Milles Collines, formera les milices de quartier, …. Cette propagande conduit à partir de la fin des années 80 à des massacres de plus en plus planifiés, sans réactions des démocraties libérales occidentales. L’impunité dont bénéficient les auteurs va sans conteste ouvrir la porte à des tueries de plus grande ampleur pour arriver au génocide en 1994. Il faut également souligner que l’embrigadement des miliciens a été favorisé par la situation économique désastreuse du pays, en particulier due au programme d’ajustement structurel imposé par les institutions de Bretton Woods à la fin des années 80 et dont les mesures étaient « manifestement inappropriées » [4] : libéralisation du commerce, dévaluation de la monnaie, suppression des subventions aux agriculteurs, élimination progressive du Fonds d’égalisation (qui achetait le café aux planteurs), licenciement des fonctionnaires, etc. Les conséquences se faisant sentir immédiatement : taux d’inflation passant de 1% à 19% entre 1989 et 1991, détérioration de la balance des paiements, dette extérieure accrue de 34,3% en 3 ans, etc. A noter que ces mesures portaient exclusivement sur les dépenses civiles alors que les dépenses militaires absorbaient une partie croissante des revenus de l’Etat et du financement extérieur. [5]

 

Le basculement : l’assassinat du président hutu Rwandais Habyarimana servira de prétexte pour débuter le génocide. Bien que les commanditaires de cet assassinat n’aient toujours pas été identifiés avec certitude, ce qui importe est le caractère systémique de la chose. Les premiers massacres (d’abord de Hutus modérés) vont commencer le soir même, sur base de listes préétablies. La première ministre hutue modérée fera partie des premières victimes, ainsi que les 10 casques bleus Belges chargés de l’escorter. Ce fait va rapidement provoquer le retrait de la majorité des forces restantes de l’ONU par les pays concernés (Belgique, USA, France, …) excepté pour rapatrier leurs ressortissants, et laissant les populations tutsies à leur triste sort. Il ne restera qu’un contingent de quelques centaines d’hommes mandatés par l’ONU avec pour ordre de n’intervenir qu’en cas de légitime défense, ordres scrupuleusement respectés.

 

Une complicité internationale : plus loin que cette complicité passive, d’autres pays ont une responsabilité beaucoup plus importante dans cette tragédie. On peut citer l’Egypte, la Chine, les USA ou encore la France qui, à travers leurs entreprises, ont continué de fournir des armes au gouvernement génocidaire en toute connaissance de cause. Les choses vont encore plus loin en ce qui concerne la France. En effet, celle-ci a joué un rôle des plus importants dès la fin des années 80. Cette époque montre le début de la guerre civile rwandaise entre le gouvernement Hutu et le Front Patriotique Rwandais constitué majoritairement de Tutsis réfugiés en Ouganda et désireux de rentrer chez eux. La France va instantanément soutenir le gouvernement extrémiste, à travers notamment un soutien logistique et financier, des formations militaires, tout en fermant les yeux sur les dérives déjà bien présentes de l’Etat rwandais. Ce soutien durera jusqu’à la fin du génocide, quand, en juin 1994 [6], la France va se décider à intervenir en lançant la fameuse opération Turquoise. Cette opération, officiellement pour faire cesser les massacres, a en réalité pour but de stopper le FPR et/ou de permettre aux génocidaires rwandais de fuir vers le Congo voisin. Cet objectif officieux sera une réussite parfaite et aura des conséquences dramatiques sur les populations de l’est du Congo, et ce jusqu’à aujourd’hui. Par conséquent, lorsque l’on évoque le génocide rwandais, il faut bien avoir à l’esprit que ce désastre était loin d’être une fatalité. Les faits étaient connus et cachés par des gouvernements clamant à qui veut l’entendre les principes des droits de l’homme et de la démocratie. Il faut savoir que même si certains pays ont proclamé leurs excuses (les USA, la Belgique, l’ONU), la politique française de l’époque (sous Mitterrand) est loin d’être assumée encore aujourd’hui. Aucunes excuses publiques de la part de la France n’ont été déclarées à ce jour. En visite au pays des milles collines en février 2010, Nicolas Sarkozy s’est contenté d’évoquer les « erreurs » de la France [7], tout en restant silencieux lors de la visite d’un musée du génocide suite au commentaire du guide devant une photographie quant à la responsabilité de la France dans les massacres.

 

Malgré la gravité des faits, il est encore plus regrettable de constater encore aujourd’hui, de part et d’autres, des abus par rapport à la mémoire du génocide. A l’image des partisans du droit d’ingérence qui prétexte l’inaction au Rwanda pour justifier des invasions comme celle d’Irak ou de l’Afghanistan ou encore l’actuel président Rwandais Paul Kagamé, qui justifie la défense des Tutsis pour interdire l’opposition politique et soutenir des seigneurs de guerre actifs dans l’est du Congo. Par ailleurs, on constate également la persistance d’un négationnisme destiné à minimiser les faits ou encore à occulter la part de responsabilité de gouvernements impliqués. Ainsi, des autorités françaises en poste à l’époque évoquent fréquemment l’idée de double génocide [8] ou de massacres de masses, réfutant par là toute planification étatique.

 

Pour terminer, soulignons le scandale de la dette du pays, largement le fruit des dépenses militaires ayant servies au génocide, et ponctionnant toujours plus de 17% du PIB. [9] Ce cas typique de dette odieuse [10], doit impérativement être annulée sans délai ni conditionnalité, afin de libérer des montants nécessaires à la reconstruction du pays. De la même manière, il faudrait que la communauté internationale contribue à un programme spécial de réparations visant la compensation des familles des victimes et des survivants. [11] Pour cela, il est primordial d’établir une fois pour toute la vérité sur cette affaire, de manière à ce que chacun des acteurs de l’époque se retrouvent face à leurs responsabilités. N’oublions pas qu’un génocide est avant tout un complot qui nécessite une importante complicité, nationale et internationale, et nous pousse inévitablement à s’interroger sur la question de la légitimité de l’autorité et de l’obéissance ainsi que de ses ambiguïtés.

 

Renaud Duterme

Notes

[1] « Un génocide, dans ces pays là, ce n’est pas très important » François Mitterrand à propos du génocide rwandais.

[2] Notamment influencée par la pensée racialiste de Joseph Arthur Gobineau.

[3] GOUTEUX, Jean-Paul, La Nuit rwandaise. L’implication française dans le dernier génocide du siècle, Paris, L’Esprit Frappeur, 2002.

[4] GALAND Pierre et Chossudovsky Michel, L’usage de la dette extérieure du Rwanda (1990/1994). La responsabilité des bailleurs de fonds. Disponible intégralement sur http://www.pierregaland.be/mesenga/…

[5] Ibidem.

[6] Près de 3 mois après le début de génocide

[7] http://www.lesoir.be/actualite/fran…

[8] Voir à ce propos l’ouvrage de Patrick de Saint-Exupéry : L’inavouable.

[9] http://www.africaneconomicoutlook.o…

[10] Dette odieuse : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir ». Alexander Nahum Sack

[11] GALAND Pierre et Chossudovsky Michel, op. cit.

http://www.hns-info.net/spip.php?article22690

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