Avril, mai, juin sont, au Rwanda, des mois de silence. On y commémore le dernier génocide du XXe siècle. C’était il y a seize ans, mais 2010 marque une date anniversaire un peu particulière : le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mis sur pied par l’ONU pour juger les responsables du « crime des crimes », fermera ses portes à la fin de l’année.



Le temps est compté. Passé cette date, il n’y aura plus d’enquête onusienne. L’histoire risque de s’arrêter là où en sont les investigations du TPIR : incomplètes. Toute la lumière n’a pas été faite, loin de là. Ce qui est avéré, c’est le génocide de quelque 800 000 Tutsi, l’ethnie minoritaire, par la majorité hutu, dans ce petit pays de l’Afrique dite des Grands Lacs.

Définition onusienne du génocide : les Tutsi ont été victimes d’un massacre organisé pour ce qu’ils étaient – des Tutsi -, non pour ce qu’ils avaient fait ou auraient pu faire. Ils ont été tués par des milices, par des éléments des Forces armées rwandaises (FAR) et par la population civile hutu. Ce furent trois mois de tueries perpétrées par un régime dont la France a été très, très proche.

Seize ans, c’est beaucoup, c’est peu. A quelques mois de l’ultimatum de 2010, la revue XXI a rouvert le dossier « La France au Rwanda » (numéro 10, printemps, 15 euros). Les trois grands récits qu’elle publie ont été recoupés. Ils constituent autant d’histoires vérifiables, documentées. Ils posent des questions, gênantes, auxquelles la France n’a toujours pas répondu.

Ancienne colonie belge, le Rwanda – aujourd’hui 11 millions d’habitants – acquiert son indépendance en 1962. Depuis 1980, il est dans l’orbite de Paris en Afrique : le Rwanda fait partie de ce que la France appelle son « pré carré africain ». Il est l’un des pays avec lesquels elle entretient une coopération privilégiée.

En 1994, à quelques semaines du génocide, Paris soutient à bras-le-corps le gouvernement de Kigali, celui du président Juvénal Habyarimana – appui politique, militaire, économique. Le régime de Kigali est menacé par une rébellion tutsi – celle du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagamé – qui a ses bases en Ouganda, le voisin du Nord.

L’armée française aide les FAR dans leur lutte contre les incursions du FPR. A Paris, on entretient quelques fariboles stratégiques sur l’Afrique. Le Rwanda est francophone, l’Ouganda anglophone et, qui plus est, alors un protégé de Washington. Défi géopolitique évident, n’est-ce pas : l’Amérique veut chasser la France d’Afrique

En 1993, l’ONU esquisse une tentative de rapprochement entre Kigali et le FPR. Aucune des deux parties n’est enthousiaste. Le 6 avril 1994, deux missiles détruisent l’avion du président Habyarimana au-dessus de l’aéroport de Kigali. Le chef de l’Etat rwandais et l’équipage sont tués.

Les assassinats de Tutsi commencent le lendemain, alors qu’un gouvernement extrémiste hutu prend le pouvoir à Kigali. Depuis au moins deux ans, diplomates et militaires français sur le terrain avaient lancé des mises en garde sur un possible génocide des Tutsi. Paris n’a, semble-t-il, jamais réagi.

Qui a commandité et exécuté l’attentat du 6 avril ? Un camp accuse les extrémistes hutu, en quête d’un prétexte pour lancer un génocide préparé à l’avance. Un autre dénonce le FPR, à la recherche d’un motif pour mener l’offensive finale contre Kigali. Conduite par le socialiste Paul Quilès, une mission parlementaire française mènera en 1998 une enquête sérieuse, mais ne tranchera pas sur ce point.

XXI raconte que l’un des hommes qui aurait pu répondre, le colonel Ephrem Rwababinda, chef des services secrets rwandais, a opportunément été assassiné en 1995 en République démocratique du Congo. Par qui ? Un autre sait beaucoup de choses, mais la commission Quilès ne l’a pas entendu : l’ex-as de la gendarmerie Paul Barril. Au moment des faits, il est à la tête de sa société de sécurité privée, au service du gouvernement extrémiste hutu. Il était à Kigali vingt-quatre heures avant l’attentat, révèle XXI. On l’y reverra peu après. Cherchant à « vendre » la thèse de la responsabilité du FPR, il se ridiculisera en prétendant – mensonge – avoir trouvé la « boîte noire » de l’avion du président Habyarimana.

XXI éclaire au laser la proximité entre certains milieux français et les extrémistes hutu. La revue publie le témoignage d’un gendarme d’élite, l’adjudant-chef Thierry Prungnaud, familier du Rwanda. Il a vu des Français en uniforme apprendre à des miliciens hutu le maniement du fusil d’assaut AK 47. Prungnaud et ses hommes ont été des témoins presque directs de certains massacres. De retour en France, l’adjudant-chef a constitué un gros dossier : « 50 noms de responsables rwandais impliqués, des témoignages », dit-il à XXI. En octobre 1994, convoqué au ministère de la défense, à Paris, pour un débriefing en vue d’une collaboration avec le TPIR, Prungnaud présente son dossier. On lui dit : « Vous oubliez tout, vous mettez tout à la corbeille . » C’est là le sort des vérités que l’on ne veut pas affronter.

A l’initiative de Bernard Kouchner, le ministre des affaires étrangères, Paris renoue fin 2009 des relations rompues en 2006 avec le Rwanda. Bonne chose. Sans lien avec Kigali, la France ne peut espérer jouer un rôle dans cette partie de l’Afrique. Mais – est-ce le poids de la culpabilité ? – il y a une autre vérité rwandaise que l’on a aussi du mal à affronter ou simplement à dire. Dirigé depuis l’été 1994 par Paul Kagamé, le Rwanda est une dictature. Pour être choyé de la communauté internationale, ce n’en est pas moins un pays caserne : opposants harcelés, intimidés, voire embastillés dès qu’ils prétendent élever la voix.

Le New York Times décrivait récemment (29 avril) un régime de plus en plus intolérant, prompt à accuser toute opposition d’« idéologie génocidaire ». C’est le procès qui est fait à une modérée hutu, Victoire Ingabire, qui n’a rien à voir avec les massacres de 1994, mais a le culot de se présenter contre Kagamé au scrutin présidentiel d’août. Le génocide est exploité à des fins de politique intérieure, comme un dernier affront à la mémoire des victimes, en sus des vérités qu’on leur doit par ailleurs.


Courriel : frachon@lemonde.fr.

Alain Frachon

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Posté par rwandaises.com