Le « président du Golf » et le » président de la rue » se font face à Abidjan

Politologue, chercheur au « Centre sur les conflits » (Paris) et animateur de la revue « Culture et Conflits » (1)Michel Galy vient de rentrer d’Abidjan où il a suivi le deuxième tour des élections et les évènements qui ont suivi.

Dans les deux camps, aurait on pu prévoir ce qui s’est passé ?

Chacun, Laurent Gbagbo comme Alassane Ouattara estimait que le rapport de forces lui serait favorable ; le président sortant misait sur ses acquis, son rival comptait sur l’arithmétique ethnique et sur le report des voix d’Henri Konan Bedié. Il est vrai que dans les provinces du Nord, toujours occupées par les Forces nouvelles, on n’entendait que les médias des rebelles, qui entretenaient une certaine psychose, assurant que les gendarmes (originaires du Sud) allaient revenir. Par ailleurs j’ai été étonné de constater que le camp Gbagbo ait laissé la Commission électorale indépendante être contrôlée aux deux tiers par l’opposition…

Il n’empêche que Laurent Gbagbo a perdu…

Oui, si l’on considère comme valides les votes du Nord, qui ont donné à Ouattara des scores « soviétiques » En certains endroits, comme Ferkessédougou, il y avait plus de votants que d’habitants…Le Nord n’était pas vraiment libéré.

Quel est le rapport de forces entre Ouattara et Gbagbo ?

Le premier bénéficie de l’appui de la communauté internationale ; l’ONUCI (Organisation des Nations unies en Côte d’Ivoire) le protège, les 9000 Français de la Force Licorne également et les Forces nouvelles (de 8 à 14000 hommes qui n’avaient pas été désarmés) sont pour lui également. Les deux camps, les rebelles comme les pro Gbagbo recruteraient d’anciens combattants de Sierra Léone et du Liberia. Mais aux yeux de la population d’Abidjan, Ouattara est considéré comme « le candidat de l’étranger » même s’il n’est plus question de l’ « ivoirité ». Retranché dans son hôtel, il ne dirige que la « République du Golf » du nom de l’établissement qui l’accueille et où il se montre très accessible à la presse étrangère, qui lui est très favorable.
Quant à Gbagbo, il dispose d’un « budget de souveraineté » qui demeure très important, des revenus du cacao produit dans les provinces du Sud, des ressources du port de San Pedro, des royalties du pétrole ; l’armée lui demeure lui fidèle même s’il est quelquefois question de « retourner » contre lui l’un ou l’autre général. En outre la capitale Abidjan lui est favorable alors que Ouattara a peur de quitter son hôtel et voudrait aller s’installer à Yamoussoukro, dans le centre du pays, à condition de pouvoir arriver jusque là…
S’il ne recherche plus le contact avec la presse étrangère, largement hostile, le camp Gbagbo contrôle la radio et la télévision ivoirienne, ce qui lui suffit.

Qu’en est il des populations originaires du Nord, qui vivent et travaillent dans le Sud ?

Il y a dans le Sud de trois à quatre millions de « Dioulas », des travailleurs venus du Mali et du Burkina Faso et installés parfois depuis deux générations. Si la guerre reprenait et que ces Sahéliens devaient être obligés de rentrer dans leur pays d’origine, ce serait une catastrophe humaine et économique pour ces derniers, qui ne pourraient les absorber.

Comment sortir de la crise ?

Les scenarios les plus farfelus circulent mais ce qui est sûr c’est que l’élimination violente de l’un ou de l’autre des protagonistes mettrait le feu au pays. On évoque même une présidence tournante, deux ans et demi chacun, ou une forme de cohabitation. Actuellement l’Eglise catholique s’active discrètement à rechercher une solution pacifique mais de part et d’autre on se méfie. N’oubliez pas non plus le troisième homme, Henri Konan Bédié, l’ancien dauphin de Houphouet Boigny : il s’était désisté en faveur de Ouattara, mais son parti, le PDCI (parti démocratique de Côte d’Ivoire) aurait viré de bord. Ce que l’on constate, dans l’immédiat, c’est un pourrissement de la situation, une montée progressive des vendettas, des actes de vengeance : il y a déjà eu plus de 20 morts depuis le second tour, et les Dioulas qui vivent dans le Sud et sont quelquefois isolés dans les plantations demeurent très vulnérables…

Propos recueillis par Colette Braeckman

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

Posté par rwandanews