Nous sommes en 2009. Dès le 06 avril jusqu’au 03 juillet 1994, le monde assistait indifférent au génocide contre les Tutsi du Rwanda. Ce génocide a causé plus d’un million de morts ( le nombre absolument exact ne pourra jamais être fixé).

Si le Rwanda existe encore comme nation, cela relève presque du miracle, car plusieurs sont des gens qui, partant de ce qu’ils voyaient au cours du génocide, prédisaient la disparition pure et simple du Rwanda ( comme nation) ou sa désagrégation totale.

 

L’ on sait bien que l’arrêt du génocide et le salut du Rwanda ont été possibles au prix de beaucoup de sacrifices d’autres Rwandais. La tâche de recoller les morceaux de cette société rwandaise mise en lambeaux par le génocide et de permettre à la population de retrouver l’harmonie et la cohésion sociale durables, sera, sans aucun doute, longue et ardue. Incontestablement le Rwanda devra aussi compter sur le temps pour se remettre totalement.

 

Quinze années après le génocide, l’on serait alors tenté de voir où les Rwandais en arrivent avec leur travail de reconstruction tous azimuts. Au passage, il faut rappeler que la 15ème commémoration du génocide contre les Tutsi du Rwanda sera officiellement concentrée sur ce thème :« Commémorons le génocide des Tutsi de 1994 en luttant contre le négationnisme et en construisant notre pays ». Sans surprise, pour des raisons diverses, il existe, à l’intérieur et à l’extérieur du Rwanda, des personnes qui nient la réalité du génocide qui a visé les Tutsi du Rwanda en 1994.

 

Du côté des rescapés, pour ce qui est de la reconstruction physique matérielle, car le génocide contre les Tutsi n’a  généralement pas  épargné leurs biens, nous pouvons dire que certains des besoins des rescapés ont été, dans une certaine mesure, satisfaits. Certains survivants ont eu, par exemple, des logements, mais il y a aussi d’autres parmi eux qui attendent encore ou d’autres  qui ont eu des logements indignes de ce nom.

Dans l’ensemble l’Etat rwandais a fait et continue de faire des efforts louables pour trouver des moyens matériels  destinés à atténuer les innombrables besoins des rescapés , mais les possibilités financières du pays sont limitées et, parfois aussi, l’on constate que  la gestion des fonds, mobilisés par l’Etat et destinés aux besoins spécifiques des rescapés, n’a  pas toujours été saine ni efficiente.

 

Pour la reconstruction physique humaine, il existe des survivants du génocide de 1994 qui portent, dans leur corps ( et ainsi dans leur esprit aussi), des séquelles terribles du génocide. A défaut de pouvoir être exhaustif, relevons tout simplement le cas des nombreuses veuves et filles rescapées qui sont malades du sida parce qu’elles ont été contaminées pendant le génocide ( le viol systématique, ainsi que la contamination par le VIH/SIDA, ont été utilisés comme instruments du génocide) . Faute de traitement médicinal, ces personnes meurent inexorablement. Pour celles qui sont encore en vie, la reconstruction personnelle n’aurait, sans doute, pas de sens.

 

Du point de vue psychologique, autrement dit, si on se place sur le plan de la vie intérieure des rescapés du génocide de 1994, l’on constate que, pour plusieurs, la reconstruction totale se montre soit hors d’atteinte, soit non irrévocablement assurée. Dans certains cas, le poids psychologique du génocide s’avère réellement insupportable. Quand s’y rajoutent d’autres facteurs contrariants , en rapport avec la vie quotidienne de chacun, la tâche de reconstruction devient encore plus difficile.

 

Comment, pour ne citer que ce seul exemple de la vie courante, concevoir la reconstruction et la stabilité psychologique d’un rescapé qui vit, par exemple, dans la méfiance et dans la peur d’être éliminé par ses voisins, génocidaires publiquement avérés ( ou non), quand bien même ceux-ci auraient confessé leurs crimes et demandé pardon ou auraient terminé leur peine ?  Il faut bien avouer que, dans ce domaine, les problèmes sont complexes et souvent pratiquement insolubles. Comme il a été bien dit, sans exonérer les responsables politiques et militaires à tous les niveaux, le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994 a été un génocide  populaire ( Voir J.-P. KIMONYO, Rwanda. Un génocide populaire, Karthala, Paris, 2008).

 

Enfin, pour ce qui concerne la reconstruction sociale des rescapés du génocide, l’on peut dire que celle-ci est largement indissociable de celle de leurs bourreaux. En effet, malgré la gravité inqualifiable du génocide, les Rwandais n’ont pas d’autres alternatives, ils sont encore et ils seront toujours portés à vivre ensemble, dans le pays qu’ils ont en partage, comme ils l’ont été des siècles durant ( avant l’introduction et l’exploitation malfaisantes des divisions artificielles dans leur société), car rien de ce qui caractérise essentiellement une nation ne les sépare.

 

Cependant, pour se reconstruire socialement et rebâtir une nouvelle société cohérente et harmonieuse, il faut impérativement que les Rwandais puissent restaurer, par tous les moyens et mécanismes possibles, un vrai, solide et durable climat de confiance réciproque entre le groupe qui représente socialement les victimes du génocide et celui qui représente socialement les architectes et exécuteurs de ce même génocide. Dans cette optique, des faits ou des actes positifs concrets et relativement soutenus, pendant un certain temps, au niveau individuel, micro et macro-social, s’avèrent indispensables.

 

 

Sébastien GASANA

Doctorant en Sciences Sociales

Spécialisation en Sociologie.

Posté par rwandaises.com