C’est à un sujet méconnu du grand public que nous consacrons notre interview d’aujourd’hui : la Propriété Industrielle. Particulièrement peu développées en Afrique, les questions de propriété industrielle (protection des inventions, dépôt des brevets…) se posent pourtant comme des conditions sine qua non au développement économique de nos pays et plus particulièrement de la République Centrafricaine.

Pour en parler, qui de mieux que le directeur de la représentation de l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle) en RCA, Monsieur Aristide Kpenga. Juriste de formation, ressortissant de l’ENAM, il travaille depuis 2007 à la tête de cette structure et tente cahin-caha de promouvoir cet aspect du développement industriel que se doivent de maîtriser les Etats s’ils aspirent à une croissance durable. Nous lui avons donc posé quelques questions sur son sujet de prédilection.

Rédaction Centrafrique En Ligne (C.E.L.) : Monsieur le Directeur, bonjour.

Aristide Kpenga (A.K.) : Bonjour.

C.E.L. : Pouvez-nous en quelques mots présenter à nos lecteurs l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle et sa représentation en République Centrafricaine.

A.K. : Au sortir des indépendances, un certain nombre de pays africains ont décidé de s’unir pour mettre en place une structure à même de s’occuper des questions de propriété industrielle. Ils ont d’abord commencé par l’accord de Libreville du 13 octobre 1962 qui a mis en place l’Office Africain et-Malgache de la Propriété Intellectuelle. Il y avait de graves carences de ressources humaines au niveau des Etats, c’est pourquoi il y a eu la décision de se regrouper pour gérer les questions de propriété industrielle, encore peu connues. Suite au retrait de la République Malgache pour des questions de souveraineté, il y a eu révision de l’accord à Bangui le 2 mars 1977. C’est à ce moment que l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle) a été créée et est en charge de tout ce qui touche à la propriété industrielle, à savoir les brevets, les dessins-et modèles industriels, les marques, les modèles d’utilité. L’OAPI compte aujourd’hui 16 Etats-Membres et sert d’office national à chacun d’eux. Son siège se trouve à Yaoundé. Concrètement, cela veut dire que si, aujourd’hui, vous voulez protéger une invention, c’est à l’OAPI que vous devez vous adresser et le titre qui vous sera délivré a validité dans l’ensemble des 16 Etats-Membres. D’autre part, quand l’OAPI a vu le jour, son conseil d’administration a estimé qu’il était bon de rapprocher davantage les services de l’OAPI des usagers, d’où la création de la Structure Nationale de Liaison Chez nous, en République Centrafricaine, c’est en 1983 que la Structure Nationale de Liaison a vu le jour et permet de servir de relais avec les déposants.

C.E.L. : Quel est présentement le niveau de développement de la propriété industrielle en RCA ?

A.K. : Il faut le dire, nous sommes encore à un stade embryonnaire. Avec tous les événements politico-militaires que le pays a connu, le tissu industriel a été entièrement saccagé. Et mêmes les petites unités industrielles qui sont là n’appréhendent pas encore l’intérêt de la propriété industrielle. Par exemple, ils n’ont pas de cellule qui gère les questions de propriété industrielle, en matière de licence, de réflexions sur les questions d’invention, de recherche de nouveaux produits. La Structure Nationale de Liaison a donc entrepris un travail de sensibilisation auprès des industriels pour les inciter à créer une cellule de ce genre.

C.E.L. : Quels projets soutenez-vous à l’heure actuelle pour favoriser son expansion à travers le pays ?

A.K. : Au niveau de la République Centrafricaine, nous avons déjà essayé d’évaluer les besoins d’assistance en matière de développement de la propriété industrielle. C’est pourquoi deux missions d’assistance de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sont venues chez nous pour constater nos carences. Et le constat qui avait été fait, c’est de mettre en place une structure qui coordonne toutes les administrations intervenant dans le domaine de la propriété industrielle, le Ministère du Commerce, de l’Agriculture, de la Santé. Si chacun fonctionne en vase clos, on ne va pas avancer. Se faisant, nous avons mis en place le Conseil National de la Propriété Intellectuelle en 2010, en charge de l’élaboration d’un Plan National de Développement de la Propriété Intellectuelle. Ensuite, il y a eu un décret présidentiel pour institutionnaliser le Salon de l’Innovation et de l’Invention Technologique, dont la première édition s’est tenue en novembre 2010. Ce salon a permis de voir le niveau de créativité propre à la République Centrafricaine. Enfin, avec le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, nous développons un Comité National des Indications Géographiques pour essayer d’identifier certains produits ayant une notoriété nécessaire pour se vendre sur le plan sous-régional et international. Si nous encadrons les producteurs, ceux-ci pourront vendre leurs produits avec une forte valeur ajoutée. Je crois, qu’avec la construction du nouveau bâtiment de l’OAPI, toutes ces mesures traduisent la volonté de l’Etat d’intervenir dans le domaine de la dissémination de l’information scientifique. Dans ce bâtiment, il y aura une connexion internet, de la documentation afin que ceux désirant faire des recherches, mettre au point des nouvelles techniques puissent au moins venir se renseigner.

C.E.L. : D’aucuns se prêtent souvent à affirmer que, pour l’heure, la propriété industrielle tout comme la propriété littéraire et artistique ne sont que futilités dans le contexte de sous-développement de la RCA, eût égard à d’autres problèmes tels que la misère, l’insécurité et l’insuffisance dans l’accès aux soins. Qu’avez-vous à répondre à ces supputations ?

A.K. : Ceux qui pensent de cette manière font erreur. Pourquoi les pays industrialisés ont-ils réussi leur développement ? En partie, parce qu’il y avait des gens qui étaient là pour réfléchir et pour apporter des solutions dans des domaines aussi divers que la téléphonie mobile, les transports ou l’alimentation. Et ces avancées n’auraient pu se faire sans le concours de la propriété industrielle. Par exemple, à l’heure actuelle, on sait que la population centrafricaine consomme beaucoup le manioc. Mais si, avec l’aide de la propriété industrielle, on a des gens qui réfléchissent pour trouver de nouvelles variétés, pour augmenter la productivité, ce sera bénéfique pour tous et les inventeurs verront leurs découvertes protégées. Par conséquence, l’Etat doit mettre l’accent sur le développement de la propriété industrielle et permettre à nos chercheurs, à l’université, aux centres de recherche de trouver des solutions adaptées à nos besoins et permettre à ce pays de sortir de la misère. Certes, il y a des problèmes qui ne peuvent pas être résolus par la propriété industrielle mais beaucoup en dépendent.

C.E.L : Enfin, quelle contribution concrète apporte la Structure Nationale de Liaison de l’OAPI dans la renaissance du tissu industriel centrafricain, détruit par les nombreuses crises qui ont secoué notre pays depuis des décennies ?

A.K. : Vous savez que l’information occupe une place de choix dans nos activités. Déjà, si nous offrons de l’information aux entreprises, si nous trouvons des solutions, si nous protégeons les inventions, c’est déjà un plus que nous apportons au développement de l’industrie en RCA. Compte tenu de nos moyens limités et uniquement fournis par l’OAPI, on ne peut pas dire que notre bilan soit catastrophique en terme de contribution au développement industriel. Notre souhait à l’avenir, c’est que l’Etat nous donne des financements propres pour que nous sensibilisions davantage la population et obtenions des résultats conséquents d’ici quelques années.

C.E.L. : Monsieur Kpenga, je vous remercie.

A.K. : C’est moi qui vous remercie

© Copyright Centrafrique en ligne

Visiter le site de: Centrafrique en ligne

Posté par rwandanews