Inexorablement, la peine de mort recule en Afrique : 17 pays du continent l’ont déjà abolie officiellement, vingt autres appliquent un moratoire qui empêche l’exécution des peines. Au Mali par exemple, il n’y a plus eu d’exécution capitale depuis 31 ans, en Tunisie depuis 20 ans. En 2007, le Rwanda a officiellement rayé la peine capitale de sa constitution et s’efforce depuis lors de convaincre les autres pays africains de faire de même. Ouvrant une conférence régionale sur l’abolition de la peine de mort, rassemblant des ministres de la justice des procureurs et de hauts fonctionnaires de plus de trente pays du continent, le président Kagame s’en est expliqué : « la peine de mort n’est pas un moyen de dissuasion efficace et, aux victimes, elle n’apporte ni la paix ni la justice. Comment aurions nous pu faire face aux conséquences sociales des exécutions de masse si nous avions appliqué la peine de mort aux auteurs de crimes de génocide ? » Par la suite, le ministre rwandais de la justice, M. Karugarama devait ajouter « si le Rwanda, au lendemain d’un génocide qui a fait un million de morts, a renoncé à appliquer la peine de mort, d’autres pays peuvent le faire… »
Durant deux jours, cette conférence réunie à l’initiative de l’ONG italienne « Ne touche pas à Caïn », proche du parti radical et créée voici 18 ans pour combattre la peine de mort, a largement abordé tous les aspects du sujet.
D’emblée, Louis Michel, invité d’honneur, aux côtés d’Aldo Ajello, ancien envoyé spécial de l’Union européenne dans les Grands Lacs, avait donné le ton, citant Victor Hugo : « la peine de mort est le signal spécial et éternel de la barbarie ». Sans désigner directement l’un ou l’autre pays, il s’est demandé «comment des démocraties peuvent supporter sans embarras éthique que persiste ce déni d’humanité, qui est en même temps un déni de justice et une abomination… »Et d’ assurer que « les mêmes qui sont souvent prompts à dénoncer les manquements dans des pays dont la démocratie est moins achevée se satisfont, sans aucun état d’âme, de conserver dans leur législation et leur constitution ce qu’il faut bien qualifier de monstrueuse perversion… »
Par la suite, ces propos devaient être illustrés par le témoignage de citoyens américains, qui avaient séjourné dans le « couloir de la mort » avant d’être finalement graciés.
Alors que deux tiers des Etats du monde ont aboli la peine capitale, c’est en Afrique désormais que les abolitionnistes mènent combat, avant, sans doute, de gagner le monde arabe.
Les débats ont cependant montré qu’abolir la peine de mort n’est pas une décision facile à prendre : au Congo Kinshasa, au lendemain de la guerre qui a fait des millions de morts, une première proposition de loi dans ce sens a été repoussée avec fracas par l’Assemblée nationale, même si, depuis plus de dix ans plus aucune exécution n’a été enregistrée. « Nous devons gérer la perpection de notre population » souligna M. Luzolo Bambi, le ministre congolais de la justice.
Cette question de l’opinion publique a secoué beaucoup d’orateurs : le législateur peut-il se permettre de la heurter de front et de passer outre, ou faut-il d’abord faire évoluer les esprits ? « Nous avons passé deux ans à expliquer, à mobiliser », ont souligné les Rwandais, « car ce n‘était pas gagné… »Une autre question cruciale porte sur le droit des victimes. A ce sujet, il a été clairement établi que faire disparaître le coupable n’apporte rien aux victimes elles-mêmes. Au-delà de la vengeance, elles ont surtout besoin de réparations, psychologiques et matérielles…
Citant le Coran, la charia et même la Bible, le ministre somalien de la justice Hussein Ahmed Aideed fit cependant entendre une voix discordante, estimant que le châtiment doit être équivalent au crime. Œil pour œil, dent pour dent … » Si nous avions fait cela nous serions tous aveugles, » lui rétorquèrent les Rwandais…
Une mesure barbare amenée par le colonisateur
Face à des Occidentaux qui les pressaient d’abolir d’un trait de plume la peine capitale, la plupart des délégués africains répondirent positivement, mais utilisèrent l’histoire comme un boomerang. Plusieurs intervenants soulignèrent en effet que cette « mesure barbare » n’existait pas avant la colonisation, qu’elle fut amenée sur le continent par les conquérants européens. «Les communautés villageoises chassaient les coupables en direction de la grande forêt » nous rappelait un Congolais tandis qu’un Kényan soulignait que jadis la peine était toujours collective et toujours accompagnée de réparations. « Les échafauds, les potences, les exécutions par armes à feu n’existaient pas autrefois. Aujourd’hui que les Blancs se sont libérés de tout cela, pourquoi nous, les Africains, devrions nous être les derniers à préserver ces archaïsmes ? » se demandèrent de nombreux intervenants.
Alors que la Namibie et l’Afrique du Sud furent les derniers pays africains à accéder à l’indépendance, l’une des premières mesures prises par les nouvelles autorités fut, en 1995, d’abolir la peine de mort. Yvonne Mokgoro, présidente de la Commission sud africaine pour la réforme de la justice expliqua que « cette peine avait d’abord frappé les combattants des mouvements de libération. Nous avions gardé le souvenir de l’apartheid, des injustices, de l’inégalité économique… Une fois indépendants, nous ne voulions pas demeurer sur le même plan que nos bourreaux d’hier. A la vengeance, nous avons préféré la miséricorde… »
De plus, la peine de mort heurte une valeur particulièrement chère aux Africains et inscrite dans de nombreuses constitions ainsi que dans la Charte africaine sur le droit des peuples : le respect de la vie. Au nom de leur pays, bon nombre de délégués se sont donc engagés à lutter pour que soit révisée leur constitution ou, au minimum, pour que soit appliqué un moratoire définitif.
Le ministre congolais de la justice Luzolo Bambi a aussi tenu à présenter un bilan de l’action de son ministère et, en marge de la conférence, il s’est longuement entretenu avec son homologue rwandais Karugarama. Kinshasa en effet souhaite que le chef de guerre congolais Laurent Nkunda, gardé en résidence surveillée au Rwanda depuis 2009, soit extradé afin de pouvoir être jugé pour les crimes commis en territoire congolais et plus particulièrement à Kisangani et au Nord Kivu. Les ressortissants de l’Est du Congo attachent une importance particulière à l’extradition de Nkunda et, en cette période électorale, ils reprochent au président Kabila de ne pas l’avoir encore obtenue.
Kigali a jusqu’à présent refusé de livrer Nkunda, contre lequel aucune charge n’existe au Rwanda, avançant comme raison qu’au Congo la peine de mort n’a toujours pas été abolie. Au détour de cette conférence, le ministre rwandais de la justice nous a encore confirmé qu’ « il fallait privilégier le débat entre les deux pays, sans violer la loi rwandaise. Alors que le Congo est aujourd’hui absorbé par la préparation des élections, ce n’est pas le bon moment pour engager les discussions sur ce dossier. Sitôt que les élections seront terminée, le débat sera rouvert et nous verrons comment aller plus loin… »
Durant deux jours, cette conférence a représenté un beau moment d’échanges entre Africains sur les plus profonds des sujets, la vie et la mort…Mais nul n’a eu le mauvais goût d’aborder la question des exécutions extrajudiciaires, des assassinats politiques, une pratique qui empoisonne encore le continent. Si tout le monde est d’accord pour ne pas toucher à Caïn, il faudrait aussi que les Etats s’engagent formellement à protéger tous les Abel, opposants politiques, journalistes, militants des droits de l’homme et simples citoyens…
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