LE MASSACRE DE L’EGLISE DE NYAMATA

 

Témoignage de Philipo Kayitare, berger à Kazenze, interviewé à l’hôpital de Nyamata, le 2 juin 1994, par l’Organisation African Rights et publié dans Death, Despair and Defiance, African Rights, London, September 1994, pages 218-220.

Les hommes qui ont essayé de résister aux milices interahamwe sur la colline de Kayumba, tandis que les femmes, les enfants et les vieillards réfugiaient à l’église de Nyamata, sont euxaussi repoussés vers l’église par l’intervention des militaires.

 

… J’étais de ceux que les militaires repoussaient vers la commune.Quand nous sommes arrivés à la commune, les militaires se sont mis à tirer au dessus de nos têtes.Soudain, ils se sont mis à nous tirer dessus . Trois d’entre nous ont été tués. Tout le monde s’est précipité vers l’église en espérant qu’ils ne nous toucheraient pas en présence du prêtre européen. Nous nous sommes entassés dans l’église, le plus qu’on a pu. Il y avait des milliers de gens à l’intérieur. Certains étaient couchés sous les bancs. Il en restaient des milliers dehors.

 

Le lendemain, les gens se sont mis à chercher de quoi manger. On est allé dans les champs de patates douces du curé pour chercher quelque chose à manger. On en a trouvé quelques unes déterrées, que l’on a mangées crues, tout juste de quoi subsister ce jour là. Le soir, le bruit a couru que le prêtre allait nous porter assistance mais nous n’avons rien vu venir. Il s’est formé un comité de responsables au sein des réfugié [ de l’église]. C’est par eux qu’on a appris que le sous-préfet avait donné l’ordre de n’apporter aucun secours aux réfugiés.

[…]

Le quatrième jour, le comité a annoncé que le prêtre avait demandé de recencer les réfugiés par secteur d’origine afin de distribuer de l’aide. Le curé blanc a fait un long sermon sur le fait qu’il n’avait pas grand chose à donner mais a-t-il dit: « Je vais partager ce que j’ai. De toute façon, on va vous tuer! » Il nous a dit alors que, dans les autres églises, tous ceux qui s’y étaient réfugiés avaient été tués. Il a distribué ce qu’il avait apporté au comité. Chacun a reçu un peu de riz et de haricots.

 

Le lendemain, le comité a distribué un peu de nourriture et les gens sont allés faire la cuisine à l’extérieur. Quelques réfugiés qui avaient amené leurs vaches avec eux, ont décidé de les abattre. Je ne sais pas ce qui est passé par la tête des interahamwe: en tout cas, ils sont arrivés aussitôt avec les militaires. Les miltaires ont commencé à tirer et tout le monde s’est précipité à l’intérieur de l’église. Ceux qui sont restés dehors ont été tués. Les assaillants ont renversé toute la nourriture que l’on préparait dehors et sont repartis.

 

Le sixième jour, les interahamwe et les militaires sont à nouveau intervenus à cause de quelques réfugiés qui avaient eu l’audace de faire paître leurs vaches derrière l’orphelinat. Ils ont tiré sur ces gens et se sont emparés de leurs vaches. Notre famille avait deux vaches et un jeune garçon qui s’appelait Kalisa les gardait avec moi. Kalisa a été tué.

 

Le septième jour, le prêtre blanc est parti dans sa voiture, en plein jour.

 

C’est le huitième jour qu’est survenue la catastrophe. Vers 11 h., sont arrivés les militaires et les interahamwe. Parmi eux, il y avait même des femmes. Quelqu’un a lancé je ne sais pas quoi à travers la porte. Aussitôt s’est élevé un nuage de fumée qui nous a fait tousser et reculer. Les yeux brûlaient comme si c’était du poivre. Alors les tueurs sont entrés. Les jeunes gens qui n’avaient rien pour se défendre ont arraché des morceaux de bancs pour les jeter contre les assaillants. Aussitôt les militaires ont abattus les jeunes gens. C’était une énorme cohue d’interahamwe, et parmi eux, il y avait des femmes, il y avait même nos voisins. Et ils se sont mis à massacrer, à coup de machette, rien qu’à la machette, à la machette…

 

Il leur a fallu du temps pour arriver jusqu’à moi. Celui qu’on avait découpé juste devant moi m’est tombé dessus. J’étais couvert de sang et ils ont cru que j’étais mort. Plus tard, les interahamwe sont venus pour récupérer l’argent des victimes. Ils m’ont retourné pour me fouiller les poches. C’est alors que j’ai réalisé que j’étais encore en vie. J’ai reçu des coups de machette. Ils m’ont tailladé le viage et une jambe, au-dessus du genou. Je suis resté sans bouger comme si j’étais mort. Lorsque j’ai ouvert les yeux, il faisait noir.

 

Quand la lumière du jour est revenue, je me suis souvenu de l’endroit où étaient mes parents. J’y suis allé. Ils avaient été tués. En déplaçant leurs corps, j’ai vu émerger, sous le cadavre de ma mère, ma petite soeur, saine et sauve! Qu’elle ne soit même pas blessée m’a semblé un miracle. Je l’ai tirée de là et nous sommes allés nous cacher à la maternité. Il me semblait qu’il n’était pas possible de tuer les femmes enceintes et les nouveaux nés …

 
Les rescapés qui ont cru trouver refuge à la maternité seront massacrés le lendemain
matin avec les femmes en couches et les bébés…Le témoin réussira encore à s’échapper.




LE MASSACRE DE L’EGLISE DE NTARAMA

 

 

 

Beata Niyoyita, une simple paysanne, a donné aux enquêteurs d’African Rights un témoignage très précis sur ce qui s’est passé dans l’église de Ntarama, succursale de la paroisse de Nyamata,

(African Rights, op. cit., pages 209-214)

 

Le jeudi 7 avril, la radio nous a appris que Habyarimana était mort, il n’est rien arrivé de particulier ce jour là. Le vendredi, des réfugiés ont commencé à affluer venant du secteur de Kibongo, en commune Kanzenze, ils disaient qu’ils venaient chez nous parce qu’ils avaient entendu dire qu’on avait mis en place un système de défense pour empêcher les interahamwe d’entrer dans notre secteur. Il y avait des Tutsi et des Hutu. Nous avions des pierres, des arcs et des flèches. On a réussi à repousser les miliciens pendant une semaine environ. Les miliciens avaient le renfort de quelques policiers communaux armés mais ils n’avaient ni le nombre ni les armes suffisantes pour écraser notre résistance. Ils ne sont pas parvenus à forcer nos barrages, les femmes et les enfants avaient trouvé refuge à l’église.

Une semaine après, on a amené des militaires […] C’est le 15 avril que nous avons perdu tout espoir. Des soldats bien armés se sont avancés vers l’église; ils attaquaient de trois côtés à la fois […] Ils ont lancé l’attaque tous en même temps, à 11h. Nos jeunes gens et nos jeunes filles ont été submergés. Ils ne savaient de quel côté se défendre. Aussi ils se sont enfuis dans l’école primaire de Cyugaro.

 

Un groupe de militaires et d’interahamwe s’en est pris à l’église. Ils ont fait des trous pour pouvoir lancer des grenades à l’intérieur de l’église. Chacun essayait de se protéger. C’est alors que les interahamwe ont pénétré dans l’église et ont commencé à massacrer à coups de machettes. Un militaire en uniforme continuait à tuer à l’intérieur de l’église pour protéger les interahamwe jusqu’à ce qu’ils soient prêts à commencer le « travail ». Parmi eux, il y avait des femmes et des jeunes garçons de 11 à 14 ans. Ils étaient armés de gourdins et de lances. Ils s’en servaient pour battre les enfants à mort.

 

Pendant qu’ils massacraient à la machette, les miliciens discutaient de leur « travail » et se désignaient les uns les autres les blessés à achever. Au bout d’ un moment, ils ont discuté pour savoir s’il fallait continuer le massacre à la machette ou s’ils pouvaient commencer le pillage. Ils se sont décidé pour le pillage. C’est leur avidité qui nous a sauvés. Ils ont entraîné quelques réfugiés à l’extérieur pour leur demander de l’argent. Puis ils les ont frappés, les laissant pour morts. C’est ce qui est arrivé à ma soeur.

 

J’étais tombée sous les cadavres. Je ne pouvais pas bouger tant il y avait de corps au-dessus de moi. Les interahamwe sont partis pensant que tout le monde était mort. Vers trois heures de l’après-midi, un petit nombre de personnes qui avaient échappé au massacre de l’école primaire de Cyugaro sont venus voir si il y avait des survivants. J’ai reconnu celui qui s’avançait le premier dans l’église et je l’ai appelé. Il est parvenu à me dégager. J’ai vu mon fils de quatre ans qui baignait dans une mare de sang. Une lance lui avait traversé la tête de part en part. Mais quand je l’ai touché, je me suis rendu compte qu’il respirait encore. L’homme qui m’avait aidé a pris mon enfant dans ses bras. J’ai regardé autour de moi pour voir si quelqu’un de ma famille étaitencore en vie. J’ai vu le cadavre de ma mère Languida Mukamabano et celui de mes deux belles-soeurs et de leurs enfants, une de mes jeunes soeurs Anne-Marie Matuyimana, qui paraissait morte, était encore en vie. Elle sera tuée plus tard dans le massacre de l’école […]

 

Les survivants et d’autres fugitifs se réfugient dans l’école voisine de Cyugaro. Ils résistent jusqu’au 22 avril aux assauts des interahamwe et réussissent même à s’emparer d’un fusil. Il faudra l’intervention de soldats de la garde présidentielle pour venir à bout de la résistance. Les blessés, les malades, les enfants sont tués tandis qu’un petit nombre de survivants tente d’aller se cacher dans les marais.

J’ai pris mon fils et je me suis mise à courir. Beaucoup couraient dans la même direction. Ils nous ont poursuivis jusqu’à la rivière. Je voulais traverser la rivière et atteindre ainsi la commune de Mugina, dans la préfecture de Gitarama. Mais les interahamwe de Mugina avaient pris position pour nous empêcher de traverser et tiraient sur nous. Du côté de Ntarama, les interahamwe nous ordonnaient de nous suicider en nous jetant dans la rivière. Par désespoir et pour éviter une mort encore pire, beaucoup ont sauté et se sont noyés, même des femmes avec leur bébé dans le dos.

Sachant la mort qui les attendait, les pères jetaient leurs enfants dans la rivière dans un dernier geste d’amour.

Le témoin réussit encore à s’échapper et à se cacher dans le marais de papyrus jusqu’à l’arrivée de l’Armée patriotique rwandaise.

 

contact : scholastique_mukasonga@yahoo.fr

 

http://www.scholastiquemukasonga.com/article-18524141.html

Posté par rwandaises.com