Lorsque Christophe Gargot s’intéresse au tribunal pénal international pour le Rwanda, son intention semble claire : interroger le fonctionnement d’une justice exceptionnelle, celle que l’on réserve depuis Nuremberg aux génocides, ces massacres de masse insensés et planifiés. Ainsi, entre les images d’archives qu’il glane parmi les 30 000 heures enregistrées du procès, leur confrontation avec ceux qui vécurent le drame et des espaces presque vidés de toute humanité, D’Arusha à Arusha organise une stupéfiante mise en abîme de la capacité et des limites de la justice internationale à condamner certains des auteurs de crime contre l’humanité.
En effet, si l’intention de l’auteur de Hé M’Sieur va être à la fois de documenter le procès, son déroulement et les limites de son instruction, tout autant que les images qu’il produit et laisse à l’avenir, ce documentaire, aussi passionnant qu’exigeant, cherche surtout à examiner les ressorts qui font l’efficience de telles mises en scène judiciaires, aussi nécessaires et imparfaites soient-elles dans leurs résultats. Car tout autant qu’un film sur le règlement international d’un génocide se déroulant loin des terres qu’il a ensanglantées, D’Arusha à Arusha questionne à la fois les intentions de la justice internationale, ses méthodes mais aussi l’histoire, de ce genre de procédure exceptionnelle, leurs difficultés et leur problématique mise en image.
Mise en scène, mise en image et nécessité de juger pour l’Histoire
Ainsi et c’est là où le film fait exception, le métrage que signe Christophe Gargot dépasse et échappe à la littéralité macabre et technique de son sujet pour interroger en même temps, la forme même des images produites par un tel procès et leur dimension autant mémorielle que cathartique. Dans une savante confrontation, il construit une remarquable réflexion sur la notion de regard et de point de vue, tout autant qu’une profuse exploration de la nature morale et universelle de ce type de procédure dans un cas aussi particulier que le génocide rwandais. Car bien distinct de ses sordides précédents, ce dernier se distingue par une véritable et profonde singularité, soulevant là encore nombre de difficultés et de responsabilités pour la justice chargée de le cerner et de juger ceux qui comparaissent devant elle.
D’une rare profondeur, D’Arusha à Arusha convoque donc le cinéma documentaire pour mettre en crise les représentations mêmes d’une justice autant que ses modalités d’action avec une hauteur de vue remarquable. Et force est de constater que la démarche et son intelligence impressionnent autant qu’elles impactent. Dès lors, à l’image de films comme Une Affaire de nègres et Kigali, des images pour un massacre, ce métrage d’une grande qualité s’impose comme nécessaire, en plus de nous signaler son auteur comme l’un des plus prometteurs héritiers des cinéastes comme Raymond Depardon, Max Ophuls, Eyal Sivan ou Alain Resnais, qu’il reconnaît comme ses maîtres et modèles.
Jean-Baptiste GUEGAN
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Posté par rwandaises.com