(Syfia Grands Lacs/RD Congo) Les jeunes Congolais de Bukavu ne savent plus ni écrire, ni parler correctement le français, pourtant langue officielle de leur pays. Professeurs moins exigeants et parfois moins compétents, contraintes quotidiennes prioritaires, manque de livres, usage du texto, attirance pour les films en swahili… Tout concourt à les désintéresser de cette langue.

« C’est curieux… Je pensais qu’il y aurait tant de monde qu’on n’aurait même pas la place de poser le pied. Visiblement la lecture n’intéresse plus beaucoup de gens à Bukavu ! », lance un professeur de français venu assister au Kitabu, un festival des livres organisé à Bukavu, à l’est de la RD Congo, au mois de février, en marge du cinquantenaire de l’’indépendance de la RDC. Un exemple révélateur de la régression de l’intérêt pour la langue française, surtout chez les jeunes, élèves et étudiants.
Depuis plus de dix ans, les intellectuels dénoncent ce problème et constate que les jeunes ne parlent ni n’écrivent en bon français comme auparavant. Les professeurs d’université déplorent ce faible niveau des étudiants. « Ils sont vraiment nuls en français, pour la plupart ils s’expriment difficilement et l’écrit est lamentable », se plaint un assistant à l’Université officielle de Bukavu, l’UOB, une des grandes universités de la ville.
Pourtant, le français est la langue officielle du pays, utilisé dans l’administration depuis l’époque coloniale. Mais, aujourd’hui à part l’école ou l’université, la langue française n’est plus utilisée dans la conversation courante que dans les quelques quartiers bourgeois de la ville. Alors qu’auparavant elle était la langue principale des étudiants, aux dires des intellectuels les plus âgés.

« Il faut tout recommencer à zéro »
Pour de nombreux Bukaviens, les jeunes sont, en fait, les victimes d’un mauvais système éducatif et de la situation que traverse le pays ces dernières décennies. « Que voulez vous avoir des étudiants ? C’est l’école primaire et secondaire qui est la base de l’éducation. Or, depuis environ 20 ans, les enseignants ne sont plus motivés. Ils sont pris en charge par les parents qui paient la prime. Les écoles n’ont plus de bibliothèques et les activités culturelles et littéraires n’existent plus comme auparavant. C’est clair que le niveau baisse », explique Fiston Maheshe, un acteur de développement. « Moi j’ai fait le littéraire en 1975 ; à notre époque nous avions un laboratoire pour apprendre le français, se rappelle Charles Amuli, la soixantaine, professeur de français dans différentes écoles de Bukavu. Actuellement, mon fils fait les mêmes études dans cette même école, mais la salle n’existe plus. Comment sera-t-il aussi bon en français que moi ? Si on veut sauver la nouvelle génération, il faut tout recommencer à zéro. »

D’autres priorités
La lecture est aussi un des outils indispensables à l’apprentissage de la langue. Fort malheureusement, les jeunes en ont perdu le goût et les livres sont devenus rares. Et les professeurs de français ne sont plus aussi exigeants. « A l’époque, on obligeait les élèves à lire un roman qui était ensuite présenté en classe. Maintenant, on ne le fait plus. Tout simplement parce qu’on vit au « taux du jour » et les élèves cherchent de quoi se payer les études ou se nourrir. Alors si vous obligez à un élève qui n’a pas à manger à lire un roman, il va s’en foutre », explique Martin, étudiant à l’Institut supérieur de pédagogie et déjà professeur dans une école privée.
Les distractions qui attirent les jeunes aggravent la situation s’inquiètent les professeurs de français. En effet, ce sont les musiques et les films en swahili, qui viennent d’Afrique de l’Est, qui ont leur préférence, car ils parlent de réalités qui leur sont proches. S’y ajoute enfin l’utilisation du texto qui achève de faire perdre aux jeunes le peu d’orthographe qu’ils ont appris. A force d’écrire en phonétique, ils ne savent plus rédiger.
Pour tenter de contrer cette baisse constante du niveau de français, l’Alliance française de Bukavu, qui a réhabilité son bâtiment en début d’année, compte multiplier les activités culturelles et autres concours littéraires, afin de redonner le goût à la lecture aux jeunes. Déjà, des films en français y sont projetés chaque semaine. L’engouement n’est pas encore spectaculaire, mais les jeunes y viennent petit à petit. L’Alliance forme aussi des professeurs de français, car les générations actuelles de jeunes enseignants n’ont plus toujours les compétences suffisantes pour l’apprendre correctement aux jeunes, accentuant encore la baisse de niveau.

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Posté par rwandaises.com