Il y a plus de vingt ans qu’Alassane Dramane Ouattara, « Ado » pour ses intimes comme pour ses adversaires, suscite les passions en Côte d’Ivoire.

En 1990 cependant, lorsque le président Félix Houphouet Boigny,  qui cumule le prestige du chef traditionnel, du planteur de cacao  et du fidèle allié de la France, appelle Ouattara pour en faire son Premier Ministre, nul ne se méfie de cet économiste peu connu, dont le père, un commerçant prospère, vivait entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.  Voix posée, costumes bien coupés, Ouattara, formé à l’Université de Pennsylvanie, a été directeur du département Afrique du FMI puis gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest de 1988 à 1990. Ce technocrate est appelé à faire « atterrir » la dévaluation du CFA (la monnaie commune aux Etats d’Afrique de l’Ouest, liée au franc français puis à l’euro) et, à Neuilly, il a épousé devant un certain Sarkozy, maire de la ville,  Dominique Novion, une Française qui avait toute la confiance du vieil Houphouet et gérait ses propriétés immobilières.

Pendant que l’opposant Gbagbo et son épouse Simone, deux militants socialistes, sont envoyés en prison, Ouattara met en œuvre une politique d’austérité qui le fera honnir dans les  milieux populaires mais ces privatisations des entreprises d’Etat lui permettront de redresser les finances du pays, ce qui lui vaudra ensuite de devenir directeur adjoint du FMI.

Après la mort d’Houphouet, lorsque Henri Konan Bédié s’installe au pouvoir, Ouattara, à la tête du RDR (Rassemblement des républicains) comme Gbagbo, qui dirige le FPI (Front des patriotes indépendants), se retrouvent dans l’opposition et les futurs rivaux  forment le Front républicain. En 1999, lorsque le général Guei prend le pouvoir, Ouattara le soutient presque ouvertement et des militants du RDR entrent au gouvernement. Mais après l’assassinat de Guei, alors que des élections présidentielles se préparent, la Cour Suprème rejette la candidature de Ouattara car sa nationalité n’est pas reconnue et le thème de l’ « ivoirité », lancé par Bédié,   enflamme les esprits. Lors des élections de 2000, Laurent Gbagbo l’emporte dans des conditions jugées « calamiteuses », en faisant descendre ses partisans dans la rue. Le président socialiste organise cependant un Forum pour la réconciliation  nationale en 2001.  Il  n’a pas le temps de mettre en oeuvre la politique d’assurance santé qui figure à son programme  car en 2002 il échappe de peu à un coup d’Etat militaire qui verra la partie nord du pays être occupé par les rebelles des Forces nouvelles.

A l’époque, Ouattara choisit l’exil en France et nie tout lien avec les rebelles.  Beaucoup le soupçonneront cependant d’être le « père intellectuel » sinon le financier d’une rébellion qui a été préparée au Burkina Faso.

Dès 2006, alors que sa nationalité ivoirienne a finalement été reconnue, « Ado » revient à Abidjan et se prépare aux élections présidentielles. Discours orthodoxe, allure policée et belle villa, l’économiste a cependant gardé le contact avec les rebelles qui occupent toujours le nord du pays et refusent de désarmer. Ces liens se confirmeront ces derniers mois lorsque Guillaume Soro, l’un des leaders des Forces nouvelles, -qui avait été appelé au poste de Premier Ministre par Gbagbo au nom de l’unité nationale- sera reconduit dans les mêmes fonctions par Ouattara au lendemain des élections de novembre 2010.

Très vite, trop vite peut-être, la communauté internationale et l’ONU, sous l’impulsion de la diplomatie française, avalisent la victoire de l’homme du Nord, mais Gbagbo, arguant des irrégularités dans les zones demeurées sous le contrôle des rebelles, refuse de s’avouer vaincu et le Conseil constitutionnel le proclame gagnant.

Alors que les médiations africaines s’enlisent et que les sanctions pleuvent sur Gbagbo, Ouattara, reclus à l’hôtel du Golf dans une capitale qui ne veut  pas de lui, mène une double stratégie : il tente d’asphyxier économiquement son adversaire, décrète un embargo sur le cacao  qui ruine les petits planteurs mais permet à son beau fils d’enregistrer une belle plus value sur les 240.000 tonnes stockées à Londres, tandis qu’une « armée invisible » s’infiltre dans Abidjan.

Parmi ces « commandos de l’ombre » se retrouvent des rebelles du Nord, mais aussi des Burkinabe, des Nigérians, ainsi que des chasseurs traditionnels, les Dozos, connus pour leur cruauté et qui seront accusés des massacres commis à Duekoue. Alors que ses hommes, reconvertis en « forces républicaines », lancent l’assaut final sur Abidjan,  Ouattara, malgré l’onction de la communauté internationale, risque d’être éclaboussé par les pillages et les tueries commises par des troupes qu’il contrôle mal et qui règlent leurs comptes…A l’heure de sa probable  victoire, attendue et préparée depuis aussi longtemps, il est peut-être inconvenant de rappeler qu’un certain Jean-Pierre Bemba avait, en son temps, été tenu pour responsable de viols et de tueries commises par ses troupes qui avaient été en envoyées  en Centrafrique. Il eut beau affirmer qu’il n’était pas physiquement présent au moment des faits, la Cour pénale internationale,  invoquant la chaîne de commandement et la responsabilité politique, se prépare bel et bien à juger l’ancien chef  rebelle…

Les droits de l’homme, c’est à dire la détermination des responsabilités dans les tueries de Duekoue ,  le pillage et l’incendie des villages  seront le prochain champ de bataille de la Côte d’Ivoire…

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2011/04/05/limplacable-ascension-dalassane-ouattara/

Posté par rwandaises.com