Rapporté et commenté par Laurent Rukwavu

Le 8 avril 2011

Hier soir, 7 avril, à Lille, 17ème Commémoration du génocide des Batutsi au Rwanda.

L’Association des Etudiants Rwandais de Lille, l’Association des Fils et Filles du Burundi, la Communauté Rwandaise du Nord- Pas de Calais ont réuni à la Maison du Quartier Vauban-Esquermes, àLille,  une petite foule d’environ cent personnes pour se souvenir du génocide de 1994. La soirée était animée par Joseph Zingiro et une chorale d’étudiants Burundais et Rwandais.

Particularité : les Burundais étaient aussi nombreux que les Rwandais. Malgré leurs légères différences historiques, ils se sont tous retrouvés enfants d’un même Pays, d’une même tragique Mémoire. Il y avait aussi, bien sûr, des Français, amis, alliés et famille.

Se souvenir qu’il y a 17 ans, plus d’un million de personnes étiquetées «Batutsi» furent massacrées en moins de trois mois. Le même sort fut réservé aux étiquetés «Bahutu» opposés à la logique meurtrière.

Ne pas confondre étiquettes et ethnies. Les étiquettes sont d’ordre « vétérinaire », expression de l’historien Ernest Renan. Les ethnies sont d’ordre culturel, sociologique, religieux, etc..

Pourquoi «obligation»?

Le Rwanda a connu à Noël 1963 un génocide qui a fait un «petit chiffre»de morts: entre cinquante et cent mille morts.

« Petit chiffre » par rapport au gigantesque génocide1994.

Et aussi par rapport à l’appréciation de M. François Mitterrand : »Dans ces pays, le génocide n’est pas important ».

Le génocide 1963 a eu lieu principalement dans la Préfecture de Gikongoro et dans le Bugesera. Hommes, femmes et enfants de Nyamata, de Kaduha, de Cyanika et de Gisaka.

La rivière Mwogo était pleine de cadavres et l’eau en était rouge, de sang. Notre professeur de français de l’époque, Monsieur Xavier Nayigiziki, en janvier 1964, nous en a parlé dans un exercice normal de dictée,  décrivant «ces collines désolées et veuves». Le préfet des Etudes lui a ordonné d’arrêter la dictée et de ne plus parler de « ça ».

En 1963, il n’y avait qu’un journal et qu’une radio au Rwanda. Le seul journal du pays, « Kinyamateka », catholique, n’en a pas parlé. La seule radio, Radio Rwanda, gouvernementale,  n’en a pas parlé.

Il n’y avait pas moyen de savoir.

Un journal, « Le Monde »,  a publié le témoignage de M. Vuillemin, professeur français qui enseignait à Butare. Ce monsieur était tout simplement horrifié. Monsieur Vuillemin a dénoncé mais il a bien été un des rares.

Mais les  Rwandais et les Pères Blancs ne lisaient pas « Le Monde ». Et moi je ne connaissais pas le français. J’ai découvert le Professeur Vuillemin sur Internet, 40 ans après.

Au Rwanda, personne n’a eu connaissance de ce génocide, sauf les bourreaux, les victimes et les rescapés. J’ai appris ce génocide, à voix basse, par plusieurs copains comme Théogène Karabayinga et le prêtre Félicien Mubiligi, tous deux rescapés et alors âgés de 12 ans. Tous deux viennent de nous quitter en l’espace d’une année. Et plein d’autres n’ont pas réussi à survivre. Heureusement , il en reste quelques- uns de la même génération pour témoigner.

Nous avons survécu en cachant ce terrible secret.

C’ était un génocide hors «communication». En fait, il prévenait, par l’impunité, celui, énorme, de 1994, lui aussi commandité par l’Etat Rwandais.

Ce premier génocide avait cependant deux «faiblesses »:

-L’«étiqueté muhutu» pouvait « sauver » un «étiqueté mututsi» sans risquer sa vie. C’est comme cela qu’il y a eu autant de rescapés-

La protestion scandalisée des Chancelleries étrangères (belge, française, allemande, US, canadienne,etc…),  qui ont protesté vigoureusement contre Kayibanda. Cela a mis fin aux massacres qui ont duré, tout de même, deux semaines. La communication des Ambassades a fait plié Kayibanda et le gouvernement exterminateur.

Cette force des ambassades manquera plus tard aux victimes de 1994.

Et ensuite, le rescapé «mututsi», le bourreau, l’étranger, se sont réfugiés dans l’ordre. L’ordre de Kayibanda. Couvre-feu à tous les niveaux. Sur les routes et dans les têtes. Aucune parole. Aucune mémoire. La peur a régné, dans les consciences.

Nous avons continué à aller à l’école. Nous avons grandi en oubliant, en nous cachant.

Aucun adulte ne nous a jamais autorisé d’exprimer notre mal,  de dire «plus jamais ça». Nous avons intériorisé notre détresse et avons continué à mener une existence ordinaire. Nous avons grandi en silence.

Et puis est venu le génocide 1994….

Hier, à Lille, la Communauté Rwandaise du Nord Pas de Calais, l’Association des Fils et Filles du Burundi, tous les Rwandais, tous les amis français ont manifesté, par leur présence renouvelée, leur volonté de se remémorer. PLUS JAMAIS CA!

La projection du film « Rwanda, un silence inouï » de Anne  Lainé a été le moment le plus fort de la soirée.

Témoignages de rescapés, d’ un psychiatre, d’une infirmière, d’une adolescente meurtrie et redevenue capable de vivre,  et  de bien d’autres témoins…

Vérités. Douleurs. Horreurs. Douceurs aussi. Douceur, à cause de cette veuve – orpheline qui a adopté une gamine, perdue elle aussi.

Salutation à Nyiranyamibwa que nous aimons. Sa chanson  dans le film. Texte et larmes .

Nous signalons enfin les remerciements adressés par Joseph Zingiro, reconnaissant,  à la Maison du Quartier Vauban-Esquermes pour leur bienveillante et régulière hospitalité. Nous avons aimé les chants, les textes et les visages de  nos compatriotes, étudiants Barundi et Banyarwanda.


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