Le Rwanda est aujourd’hui bien connu. Hélas pas toujours en bien. En 1994, un million de personnes sont assassinées pour leur appartenance ethnique. Quel rôle les convictions y ont-elles joué ? La question est posée par Jean Mukimbiri

 

Le Rwanda est aujourd’hui bien connu. Hélas pas toujours en bien. En 1994, un million de personnes sont assassinées pour leur appartenance ethnique. Quel rôle les convictions y ont-elles joué ? La question est posée par Jean Mukimbiri.

« Tu ne tueras point ! » Plus encore : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Comme pour d’autres philosophies et religions, ces injonctions sont fondamentales pour les chrétiens. On se demande dès lors pourquoi un génocide a eu lieu dans un pays à majorité chrétienne et catholique. Quelles croyances et convictions ont conduit au génocide anti-tutsi ? Ratissons très large, par enjambées dans l’histoire. Pour une partie de la réponse.

ORIGINES

Au XIXe siècle, des Européens débarquent au Rwanda. C’est le temps de la colonisation. Ces Européens lisent les composantes sociales tutsie et hutue à l’aune de deux mythes : le mythe hamite et le mythe bantou. En fait, les versants hamite et bantou tiennent d’un même mythe originel, à savoir le mythe du Nègre. Quelle est la genèse du mythe du Nègre, et comment en viendra-t-il à se dédoubler en mythe hamite et en mythe bantou ? Le mythe du Nègre trouve son origine dans le Moyen-Orient, plus précisément dans le livre de la Genèse, où l’on trouve les germes des deux autres mythes.

Pour échapper au déluge, Noé construisit une arche dans laquelle se réfugièrent sa famille et divers animaux. Quand les eaux se retirèrent, les fils de Noé sortirent de l’arche : Sem, Cham et Japhet. Ces trois-là étaient les fils de Noé, et à partir d’eux, se fit le peuplement de toute la terre. Noé le cultivateur commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente. Cham vit la nudité de son père et avertit ses deux frères au-dehors.

Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leur épaule et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils le plus jeune. Et il dit : « Maudit soit Canaan (fils de Cham qui a vu sa nudité) ! Qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! » Il dit aussi : « Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! Que Dieu mette Japhet au large, qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave. »

Cette histoire mythique déterminera les visages du « Vrai Nègre » et du « Nègre Blanc. » Elle concernera le destin d’un continent par-delà celui des seuls Hutus et Tutsis du Rwanda : « L’histoire de la formation des États africains nés des indépendances est telle qu’il faudrait se demander quel massacre ethnique, en Afrique, ne renvoie pas, de près ou de loin, à ce socle impensé des civilisations occidentale et orientale », se demande Catherine Coquio, fondatrice de l’Association Internationale de Recherche sur les crimes contre l’Humanité et les Génocides (AICRIGE).

DES NÈGRES BLANCS

Sous le Protectorat allemand, puis sous le mandat et la tutelle belges, la colonisation trouve, au Rwanda, une société de « Nègres » très bien organisée. Les colonisateurs n’en reviennent pas. Pierre Ryckmans, ancien vice-gouverneur général du Rwanda, et du Burundi voisin, constate : « l’administration belge s’est trouvée dans le territoire à mandat, en face de deux peuples et pas seulement de quelques millions de nègres sans lien entre eux. Deux peuples ayant leur originalité propre, conscients de leur unité nationale, se distinguant très nettement des groupes voisins. »

Contrariée dans sa mission de civilisation et d’évangélisation, par la réalité de l’organisation de cette société, de surcroît monothéiste, la colonisation cherchera la
clé de l’explication dans le mythe hamite. L’hypothèse deviendra une thèse : s’il y a, ici, une telle civilisation, c’est qu’y sont venus des « Nègres blancs » aux origines sémitiques (du Moyen-Orient). Même maudit, voire métissé avec les vrais Nègres, le Hamite, fils de CHAM, n’en est pas moins resté blanc de souche et civilisateur. Les Tutsis sont identifiés aux nègres blancs.

FOLIE MEUTRIÈRE

Le secret, que l’on croit avoir percé, donnera le Tutsi pour l’hypothèse explicative des
mécanismes de civilisation des pays des Grands Lacs. S’ensuivront la structuration
du mythe et la mise en œuvre de son transfert, dans le réel, au quotidien. Le Hamite-Tutsi sera, de ce fait, retenu pour être seul auxiliaire colonial. À l’heure des décolonisations, les dirigeants tutsis sur lesquels s’appuyait le colonisateur belge demandent l’indépendance du pays. S’estimant trahi, le colonisateur belge les rejette, du rejet le plus massif, et s’appuie sur l’ethnie hutue, majoritaire dans la population.

On aura passablement compris l’origine lointaine du « mal absolu » au Rwanda. Radical, le conflit « hutu-tutsi » est né de deux mythes: « Ces récits, pleins de Bible
et de Science, ont peuplé la mémoire des Blancs, puis ont empoisonné celle des Noirs. Un génocide arrive lorsqu’une fable sur l’origine veut devenir la seule et dernière réalité. »

TELLE LA SHOAH

C’est donc un processus à valeur universelle qui aura conduit au génocide. Jean-Michel Lecomte le décline en sept étapes, en référence au paradigme de la Shoah : définir la victime comme étrangère aux nationaux de souche, l’abaisser au niveau animal (vermine, serpent, cafard, pou, etc.), recenser les futures victimes, mentionner la race sur les cartes d’identité, restreindre les biens et les droits, exclure de la vie publique, isoler systématiquement et, enfin, détruire massivement.

On a dit que la civilisation des peuples des Grands Lacs en Afrique était venue de l’extérieur, de l’étranger. Ce n’est pas le cas. Les dernières recherches, à travers l’étude des traditions et l’archéologie, montrent le contraire. Pour comprendre la civilisation au Rwanda, il s’agit de prendre en compte la dynamique interne plutôt que de se référer aux interprétations externes, celles du colonisateur bloqué sur l’a priori racial. L’historien Jean-Pierre Chrétien en est convaincu : « L’histoire progresse aujourd’hui en reprenant pied sur les réalités régionales spécifiques et sur leur gestion (…) au cours des derniers siècles. »

REBONDIR
Pour autant, des questions n’en restent pas moins posées, encore aujourd’hui, sur des convictions à finalité génocidaire. Quelles institutions, quelles structures, quels services peuvent contribuer à la remise en cause de cette histoire, pour sa reprise en mains ? Au départ de quels effets d’entraînement ou d’expériences historiques connues ?
À l’heure où, au Rwanda, la Conférence épiscopale de l’Église catholique romaine vient de demander pardon, pour ceux des siens qui ont trempé dans le génocide, un travail du genre de celui que peuvent permettre les formations du CEFOC serait des plus utiles, pour comprendre le sens ou, plutôt, le non-sens d’un génocide, relier les histoires individuelles au contexte collectif et, peut-être, nourrir l’avenir.

Cet article a été publié dans la  Revue trimestrielle « À tout sens, Décembre 2016 par Dr. Jean Mukimbiri, Médiateur et Membre de l’Équipe Centrale du Centre de formation CARDIJN.

http://rwanda-podium.org/index.php/actualites/justice/546-opinion-reparer-le-passe-et-preparer-l-avenir-3

Posté le 01/0/2017 par rwandaises.com