Le juge d’instruction français, Marc Trévidic, près de Kigali, le 16 septembre 2010.
C’est l’enquête de la dernière chance. Celle qui peut établir la vérité sur un drame jamais éclairci depuis seize ans, ou bien se heurter, une fois de plus, aux raisons d’Etat. Aussi étonnant que cela paraisse, aucune investigation matérielle n’a jamais été menée par la justice sur le crash de l’avion du président rwandais qui, le 6 avril 1994, a donné le signal du génocide d ont ont été victimes 800 000 personnes, des Tutsi et des Hutu modérés.
Pour la première fois, un juge d’instruction français vient de passer une semaine à Kigali accompagné d’une équipe d’experts et d’avocats, pour tenter de faire la lumière sur les tirs de missile qui, en abattant le Falcon 50 du président Juvénal Habyarimana, ont fait basculer le Rwanda dans l’horreur.
Qui a tiré ? Les extrémistes hutu hostiles au partage du pouvoir avec les Tutsi qu’avait accepté le président Habyarimana ? C’est la thèse du régime actuel du président Paul Kagamé, dominé par les Tutsi. Ou des soldats agissant sur ordre de ce dernier qui, à la tête d’une armée rebelle, cherchaient à s’emparer du pouvoir, comme l’a conclu le juge français Jean-Louis Bruguière en 2006, provoquant la rupture par Kigali des relations diplomatiques avec Paris ?
Chacune de ces hypothèses renvoie à un lieu de tir : le camp militaire de Kanombe tenu par les Forces armées rwandaises (FAR, loyalistes), qui attesterait de la culpabilité du régime Habyarimana, ou la colline de Masaka où des éléments du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé se seraient infiltrés, selon l’enquête du juge Bruguière.
« La vérité viendra de la balistique », insiste l’un des protagonistes de ce dossier qui, depuis seize ans, empoisonne le climat entre Paris et Kigali. Cette vérité n’intéresse pas seulement les familles des victimes françaises du crash, qui ont porté plainte. La culpabilité du camp Kagamé, sans faire de l’actuel président le responsable du génocide – qui a des racines anciennes et fut organisé par ses adversaires -, signifierait que le chef de l’Etat a pris le risque d’un massacre de son peuple, pour prendre le pouvoir.
C’est peu dire que le séjour rwandais du juge parisien Marc Trévidic, du 11 au 18 septembre, marque un tournant dans cette enquête. Son prédécesseur, le juge Bruguière, chargé en 1998 de l’enquête ouverte sur plainte des victimes françaises du crash, ne s’était jamais rendu sur les lieux. Crainte pour sa sécurité et conviction d’une obstruction des autorités rwandaises actuelles, allèguent ses partisans. Parti pris de charger Kagamé pour atténuer la responsabilité de la France, qui soutenait Habyarimana, rétorquent ses contempteurs.
Fondant ses accusations sur des témoignages convergents, le juge Bruguière avait cru pouvoir se passer d’investigations en terrain rwandais. Mais plusieurs de ses témoins se sont rétractés, rendant plus nécessaire que jamais le recueil de preuves matérielles. Parallèlement, le rétablissement des relations franco-rwandaises à la fin de 2009 a rendu possible un transport sur les lieux, inenvisageable en période de glaciation diplomatique.
Héritier d’un aussi lourd passé, le juge Trévidic n’a pas le droit à l’erreur. Il a fait en sorte que ses investigations à Kigali, effectuées sous le regard de la justice rwandaise comme le veut la loi, soient incontestables. Il a effectué sa visite en présence d’un avocat des parties civiles françaises et de deux défenseurs des Rwandais mis en cause. Afin d’atténuer le risque d’une future « bataille d’experts », il a aussi accepté la présence à ses côtés d’experts militaires britanniques.
En 2009, ces derniers, dans un rapport commandité par les autorités rwandaises, ont accrédité la thèse de Kigali incriminant les extrémistes hutu. Selon eux, les preuves matérielles ne sont « plus disponibles ». Mais leur travail est contesté car les témoignages contredisant la version gouvernementale ne leur avaient tout simplement pas été communiqués.
Pour approcher la vérité, le magistrat français s’est fait accompagner de cinq experts, tous civils : un géomètre, un cartographe, un spécialiste des missiles et un autre des explosifs ainsi qu’un formateur spécialisé dans le pilotage des Falcon 50, l’avion en cause.
A la nuit tombée – le moment du drame -, cet aréopage, escorté par des militaires et accompagné de hauts magistrats rwandais, s’est transporté sur les deux zones possibles de tir. « Nous avons attendu la nuit pour voir passer les avions et vérifier les hypothèses, notamment en étudiant la propagation des sons. Nous avons emmené les témoins de l’époque sur les lieux et les avons interrogés pour confronter leurs dires à la réalité du terrain », raconte l’un des acteurs de cette reconstitution. De multiples relevés GPS et photographiques doivent permettre aux experts de reconstituer en 3D par informatique la trajectoire du Falcon 50 présidentiel.
Cruciale mais encore inconnue, la position de l’appareil au moment où il a été touché par deux missiles, doit être enfin déterminée. Elle sera croisée avec la localisation des débris toujours présents sur place, afin de déduire le lieu des tirs.
En parallèle, la position de l’avion au moment de l’impact devrait permettre d’identifier le type de missile utilisé. A son tour, ce renseignement peut aider à identifier le camp du tireur et à déterminer si ce dernier était ou non un professionnel. « Il n’est pas facile d’abattre un avion en vol », insiste un proche de l’enquête.
Déjà, le transport sur les lieux a permis de disqualifier certains témoins : le lieu où ils disent s’être trouvés ne permet pas physiquement de distinguer les deux zones possibles de tir.
L’observation d’un champ de papyrus boueux et infesté de serpents a fragilisé le témoignage de celui qui disait s’y être caché. Mais c’est le croisement des conclusions scientifiques avec les témoignages, qui devrait permettre d’éliminer définitivement certaines hypothèses.
« Les experts ne diront pas qui a fait le coup, nuance une source éclairée. Mais ils détermineront les scénarios les plus probables. » Leur copie est attendue d’ici à mars 2011.
L’équation du crash déclencheur du génocide rwandais n’aura probablement pas été totalement résolue, mais plusieurs de ses innombrables inconnues auront enfin été levées.
Philippe Bernard Article paru dans l’édition du 03.11.10.

http://nobeljustesrwanda.blogspot.com/2010/11/le-juge-dinstruction-francais-marc.html

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